Approche.

- Salut ! Ça va ?


Première difficulté. Ereb tergiversa longuement, surtout qu'il s'agissait de sa cible. Elle ne pouvait pas se permettre de se tromper, mais elle n'avait jamais adressé la parole à un autre adolescent. Il lui demandait comment elle allait, ce qui était le départ poli de toute conversation. Donc, il était attendu comme réponse qu'elle lui retourne la question. Mais il ne s'était pas arrêté. Etait-ce normal? L'elfe se demanda vaguement si c'était traditionnel.

Tout à coup, elle se décida et lança:

- Oui, et vous?

Ce qu'elle ignorait, c'est qu'il était totalement inhabituel qu'il y ait un tel décalage entre la question et la réponse. Elle ne savait pas non plus qu'il n'était pas commun de vouvoyer un garçon de son âge.
Elle se demanda brièvement si elle devait le suivre.
Encore une fois, sa décision fut brusque et anormale. Elle se leva et le rattrapa en trois bonds souples.

- Vous êtes bien Charles Félicien?

Bon, c'était maladroit. Mais comment s'assurer de son identité autrement?

- Ça va. Ça va. Nan. Henry Gardner. Mais je connais très bien Charles. Un message à lui faire passer ?

Premier souci. Bien que l'identification à partir d'une photo soit délicate, il y avait la possibilité que ce soit bel et bien la bonne personne, mais qu'elle ai un faux nom. Ereb soupira. Elle son truc c'était l'assassinat, pas l'espionnage.
De plus, il avait un ton surprenant. La petite elfe était totalement imperméable à l'humour, sauf le cynisme caractéristique et l'ironie mordante de certain mafieux qu'elle avait côtoyé.
Alors parler avec l'adolescent de base était très difficile pour elle...

Bon, il fallait improviser.

- Oui. Dites-lui que quelqu'un le cherche mais pas pour son bien, même s'il doit en avoir l'habitude. Et puis euh...

A avoir l'air perdue...

- Pourriez-vous me dire où est la salle de musique?

- La salle de musique ? Ben... Quoique, après tout, j'ai pas grand chose à faire, je vais t'accompagner, comme ça tu ne te perdras pas.

Ereb le remercia d'un signe de tête.

- Voilà, on y est. Mais honnêtement, j'ai pas vraiment l'habitude qu'on m'en veuille à ce point, Ereb. A part avec ceux d'Interpol. Salut, et bonne journée !

La jeune tueuse sourit. Voilà, au moins elle savait qui il était. Sa carte était fausse, le nom de famille affiché était Fontel. la date de naissance était inventé.
Elle porta rapidement la main à sa poche. Plus de porte-feuille. Peu importait, c'est lui qui allait être surpris, dès qu'il toucherai une des pièce. Elle était la maîtresse des poisons, or elle connaissait sa réputation. L'argent était enduit d'une décoction de son invention: un poison mortel pénétrant par les pores, très rapidement, et dont elle seule possédait l'antidote. Il avait trois jours devant lui.
Enjouée, elle lança:

- Merci! Bonne journée à toi aussi!

L'elfe poussa la porte de la salle de musique pour se retrouver devant trente regards scrutateurs... et un prof furieux.

- Je vois que mademoiselle Fontel se permet d'être en retard à son premier cours.
- Je me suis perdue.
- C'est cela... j'espère que vous êtes douée en musique. Prouvez que vous êtes digne de votre école. Allez, à votre place. Je ne serait pas aussi indulgent la prochaine fois.

Une fois n'est pas coutume, Ereb montra son étrangeté en choisissant sa place. Au lieu de se mêler au groupe en partageant sa paillasse avec une autre solitaire, si possible vers le milieu de la classe, elle choisit le pupitre abandonné, solitaire, contre le mur du fond, dans un angle.
Près d'une fenêtre.
Le genre d'endroit qu'aurait choisit n'importe quel tueur avisé.

Ereb n'aurait jamais cru que la musique puisse l'ennuyer, mais le professeur jouait comme un pied. Oh, pas une seule fausse note, mais il n'y avait aucune âme dans ce qu'il jouait.
La tueuse gratifia le pseudo musicien d'un regard de mépris qu'il interpréta comme celui d'un adolescent révolté contre le système éducatif. Bref, un regard comme il en voyait tous les jours.
Elle soupira de soulagement quand la sonnerie retentit et fila vers sa chambre sans demander son reste.

La porte coinçait. Ce qui n'était pas normal. L'elfe soupira, fit demi-tour, ouvrit une fenêtre du couloir, déambula sur le maigre rebord de dix centimètres comme elle aurait marché sur un trottoir et crocheta (avec assez peu de virtuosité mais avec efficacité) la fenêtre de sa propre chambre.

Pour y trouver sa victime. Au vu de ses capacités de voleur, elle se félicita d'avoir gardé l'antidote dans une cachette sûre. A savoir l'échancrure de son corsage.

- Ah, murmura-t-elle, vous êtes plus doué que ce que je ne pensais. Jusqu'à présent, personne n'est venu mourir devant mon lit comme ça. Vous auriez du vous laisser aller, vous savez. Comme ça, tu vous n'auriez pas eu mal. Vous vous seriez juste endormi.

Elle le souleva assez facilement pour l'installer un peu plus confortablement. Il n'avait que quelques heures devant lui après tout. Autant qu'il les vive bien. Elle riva son regard d'or mouvant dans ses prunelles, elle qui s'était évertuée à ne pas croiser son regard.

- Ce n'est pas contre vous, je vous assure. Ne bougez pas trop, vous ne devriez pas souffrir. C'est le principe que je cherche à obtenir. Indolore. J'y arrive bien, en général.

Il devait être conscient, bien qu'un peu vaseux et légèrement paralysé. Il devrait même pouvoir parler. Ereb avait constaté que parler ou écouter quelqu'un rendait les dernières minutes moins difficiles. Or, elle n'avait aucune raison de le faire souffrir. Contrairement à beaucoup de ses confrères, pour elle le maître mot était "indolore".

- Comme c'est gentil... Merci pour le compliment. Sauf que le... le petit problème, vois-tu, c'est que... Pas trop envie envie de mourir pour l'instant.... J'ai encore un rôle à jouer sur cette terre. Le mien.
- Comme nous tous. Le souci, c'est que quelqu'un veut mettre fin à votre représentation,répondit-elle avec sérieux.

Elle ne faisait que poursuivre la métaphore, sans même se rendre compte que sa répartie pouvait être interprétée comme un trait.

Ereb fronça soudain les sourcils. Elle connaissait cette lueur dans les yeux des gens. Il avait mal. S'était-elle trompée dans les dosages? Elle soupira: elle aurait vraiment souhaité que ça se passe bien pour lui, dans la mesure du possible.

- Bon... trêve de plaisanteries. Tu as l'antidote sur toi, j'imagine. Ça te dérangerait de... me le donner ? Allez, pour mes beaux yeux. Nan... en fait, mauvais argument. Parce que tu es quelqu'un de sympa alors ?
- Sym... pa?


La jeune elfe le regarda sans comprendre. Elle était en train de le tuer et il lui disait qu'elle était sympa, ce qui était selon ses souvenirs le mot argotique pour désigner quelqu'un d'agréable. Voilà qui était surprenant.
Elle se ressaisit et lui répondit, un vague sourire aux lèvres:

- Bien sûr, que je l'ai. Je vous le donne, à deux conditions. La première, vous m'aidez à trouver le commanditaire de votre meurtre pour éviter qu'il ne se retourne contre moi, et la seconde vous m'aidez pour un autre de mes contrat.

Tout se passait comme prévu. Seule, jamais elle ne pourrait atteindre Artemis Fowl. Il lui fallait un as de l'infiltration et du cambriolage. C'est pour cela qu'elle n'avait pas choisit un poison a effet immédiat pour le jeune voleur. Elle avait besoin de son assistance.

- Pas... de problèmes.

Ereb sourit pour la première fois. Un vrai sourire, un peu navré, mais sincère.

- Désolée que ça tombe sur vous, je vous assure que ce n'est pas de mon fait.

Elle dégaina l'antidote, petit tube de verre dans lequel oscillait un liquide transparent.

- Je vous conseille de ne pas en perdre une goutte. C'est dosé au demi-millilitre près. Mais c'est mauvais. Amer. Je n'ai pas pu améliorer ça. Il agira immédiatement...

Elle détacha rapidement son bandeau qui le retenait les cheveux en arrière, libérant de souples boucle brunes, et dévoilant la forme peu orthodoxe de ses oreilles. Personne ne la verra, maintenant. Et surtout, ça n'avais plus aucune importance.

Il but et le regard de la petite tueuse se teinta d'un éclat vaguement amusé. Elle sentit son regard se poser sur ses oreilles, et elle haussa les épaules pour montrer qu'elle ne savait pas d'où ça venait.

- Tu peux me tutoyer, tu sais... Sinon, c'est chez qui que tu as envie d'entrer ?
- Si vous... si tu veux. Ah, c'est là que ça se complique. Je suppose que tu connais cette personne et cet endroit, tu comprendra mes réticences à foncer tête baissée. Il s'appelle Artemis Fowl.

Ereb eut un rire étrange, un mélange d'amertume et d'auto dérision. Pourquoi lui? Parmi tous, pourquoi lui?

- Au vu de ce que j'ai entraperçu de ton passé, je ne pense pas que tu sois suffisamment altruiste pour te précipiter chez lui et l'avertir de la menace, mais je pense que tu serais tout à fait capable de me lâcher en route. C'est pourquoi j'ai pris soin d'enduire le goulot de ma fiole d'antidote d'une de mes décoctions. Rassure-toi, il lui faut un mois pour pénétrer l'organisme et commencer à agir, et je te promet de te donner le remède avant l'échéance. Il ne génère ni gène ni douleur d'aucune sorte. C'est juste une porte de secours pour moi. Vu ton passé, je suis sûre que tu comprendra.

Il fallait bien qu'elle assure ses arrières.

- Et si nous continuions cette conversation chez moi? Cette chambre de pensionnant n'est pas tout à fait sûre pour préparer un meurtre.

- Ne t'inquiète pas: je te promets de faire tout mon possible pour t'aider tout en t'empêchant de réussir. Aucun souci à te faire de ce côté.

Ereb haussa un sourcil, soupira puis décida de ne pas chercher à comprendre.

- De toute façon, je devais partir d'ici dès que possible. Juste un petit passage par ma chambre, histoire de récupérer mes quelques affaires, et c'est bon. Parce que, l'air de rien, je suis "en cavale" comme on dit.

La tueuse aquiesca lentement et lui tendit un petit carton plat.

- C'est l'adresse de mon hôtel et le numéro de ma chambre. Tu me rejoins là-bas.





Suite dans "maisons respectives", à "contrat" si ça te vas.