Keren sortait d'un bar où elle avait dîné tranquillement en buvant des Guinness durant toute la soirée.
Dans la rue, l'air était frais, une légère brise soufflait, sans réussir pour autant à chasser l'humidité ambiante. Les quelques lampadaires qui éclairaient de rares endroits de la rue ne remplissaient pas leur office avec un grand zèle, et seulement quelques halos jaunâtres chassaient l'ombre sur quelques mètres à grande distance les uns des autres. La rue avait une allure fantomatique et inquiétante, malgré les quelques cris et vrombissements de voitures qui se faisaient entendre; cette rue-là n'était pas située dans le centre-ville, et semblait très peu fréquentée. C'était la première fois que Keren l'empruntait, dans l'espoir de couper pour justement gagner le centre-ville le plus vite possible.
Soudain, elle vit une forme bouger, et sortir du rayon du lampadaire du bout de la rue. La silhouette était sombre, et lui avait semblé hésitante. Etrangement, il lui avait semblé percevoir un scintillement dans l'air, en même temps que la silhouette; peut-être l'éclat du réverbère sur une boucle de ceinture ou un objet lisse...
Puis elle entendit une voix, avec un drôle d'accent qu'elle comprenait mal.
Elle s'immobilisa, et resta silencieuse quelques secondes. S'adressait-on à elle?
Puis la silhouette entra dans le rayon du lampadaire suivant, et Keren put constater qu'il s'agissait d'une jeune femme, dont l'aspect était assez semblable au sien, du moins à vue de nez; de longs cheveux bruns, selon l'éclairage défectueux, à peu près sa taille, mais une attitude étrange. Elle tâtait le mur, et semblait en avoir besoin pour se diriger. Puis Keren la vit ouvrir la bouche.
"il y a quelqu'un ?"
La voix avait une intonation hésitante, voire craintive. Keren ne réfléchit pas longtemps; elle marcha droit sur la jeune fille. Un nouveau scintillement de l'air lui fit détourner la tête. Elle scruta l'obscurité, mais ne remarqua rien. Etrangement, ce scintillement lui rappelait ceux qu'elle voyait parfois quand elle allait se promener jusqu'à Tara la nuit, pendant ses vacances à la maison...
Elle secoua la tête et reprit sa marche vers la jeune fille, puis tendit le bras vers elle pour lui placer sa main dans sa propre paume. Elle regardait droit devant elle. A vue de nez, elle n'y voyait rien.
"Non, il n'y a que moi", répondit Keren,"je ne vois personne d'autre. Je m'appelle Keren. Est-ce que vous auriez besoin d'aide? je ne suis pas certaine que ce coin soit très sûr pour une jeune fille seule à cette heure... Peut-être que deux jeunes filles seules dissuaderont les moins hardis..."