Keren poussa un long soupir de soulagement.
La journée était terminée. Sa première journée à St Bartleby.
A vrai dire, ç'avait été une expérience assez particulière compte tenu de sa nullité crasse en mathématiques, puisqu'elle avait dû commencer la journée par deux heures de cette magnifique matière. Elle s'était brillament illustrée lorsque le professeur avat réalisé et rendu public le fait qu'elle n'avait pas encore totalement intégré ses tables de multiplication. Rien qu'à l'évocation de ce souvenir, les joues de Keren retrouvaient cette sensation cuisante qu'elle avait éprouvée sur le moment.
Mais qu'importe. Elle battrait tous les autres à plate couture en français, même si dans ce type d'école, chaque élève passe une bonne partie, sinon l'intégralité de ses vacances sur la Côte d'Azur (s'il vous plaît!). Après tout, personne n'avait jamais eu "l'avantage" d'être doté d'un paternel acariâtre et intraitable, fermement décidé à inculquer toutes les subtilités de la langue française à sa progéniture. Fantastique. Une fois sortie de l'école, Keren allait sentir peser le poids de l'inutilité de son billinguisme: y a-t-il une quelconque utilité à savoir parler le français quand on vit en Irlande?
*Maman, pourquoi veux-tu toujours le meilleur pour moi? tu ne pouvais pas simplement me laisser à la maison à étudier tranquillement mes plantes, mes minéraux, et mes bouquins de philosophie?*
Enfin, au moins, la journée était terminée. Avec un peu de chance, au terme d'un bon nombre de journées comme celle-ci, à la fin de l'année, elle décrocherait ses A level dans toutes ses matières préférées et pourrait sortir de l'école et étudier ce qui lui chanterait. Pourquoi donc sa mère avait-elle décidé de la placer dans une école privée, alors que l'argent conjugué des deux moitiées de sa famille pourrait la faire vivre pendant six ou sept générations? Elle aurait pu passer son existence à lire de la philosophie! elle aurait pu aller à la Sorbonne!!! Mais non. Elle était à St Bartleby, en compagnie d'adorables jerks complètement antipathiques.
Arrivée à la porte principale du lycée, elle s'assit sur une moulure de marbre particulièrement lisse qui faisait un siège très confortable, et elle sortit de son sac de cours un des livres qu'elle était en train de lire. C'était le Monde comme Volonté et Représentation, de Schopenhauer. Quelque chose de sympathique à relire pour passer le temps qu'elle n'avait absolument pas envie de gaspiller en salle d'études.