Comme à son habitude lorsqu'elle passait les vacances à la maison, Keren avait attendu la nuit pour sortir du cottage sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller sa mère. Elle avait enfilé un pantalon noir pratique, une grande chemise et un pull sombre. Dans son sac, son matériel nocturne était déjà prêt depuis un moment; le matériel nécessaires pour pouvoir passer les barrières à l'entrée de Tara, quelques crackers au cas où elle aurait un petit creux, plusieurs fioles et sachets pour ramasser des échantillons de minéraux, plantes, ou d'eau, pour pouvoir les étudier plus tard, une lampe torche, des piles de rechange. Elle avait aussi emporté un petit gilet en prévision des heures les plus froides de la nuit; avec le temps, elle avait pris l'habitude de parer à toute éventualité, et surtout, elle avait fini par connaître la lande. Les contes de vieille femme ou d'ivrognes au pub du village, elle en avait toujours raffolé, ces contes qui parlaient de korrigans et de trésors au pied de l'arc-en-ciel... Il était loin, le temps où elle croyait voir des korrigans dans chaque ornière et des trésors dans chaque scintillement de l'air lorsqu'elle passait la nuit dehors. Pourtant, elle aimait toujours se promener dans la lande, et passait dorénavant ces escapades à collecter des échantillons un peu partout pour se constituer une collection de tout ce qu'elle pouvait trouver dans la lande. Elle en avait des caisses entières dans la remise, remplies de mousse, de tourbe, de glands, de feuilles de chêne, de bocaux de terre, de fioles d'eau de source...
Elle sortit de la maison à pas de loup, en prenant garde à ne même pas alerter le chat, qui roupillait comme un bienheureux dans son fauteuil. Cela dit, ce gros tas ne risquait pas de partir en expédition dans la lande; c'était bien trop fatigant.
Doucement, elle entrouvrit les volets et se glissa dehors.
L'air de la nuit s'infiltra dans ses poumons, en autant de grandes bouffées régénérantes. Keren renversa la tête en arrière. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas éprouvé cette formidable sensation de liberté. Dans le ciel nocturne, la lune était pleine.
Keren prit encore une inspiration, puis commença à courir dans la lande. L'air frais cinglait son visage, son sac battait sa cuisse, ses cheveux volaient derrière elle, ses semelles foulaient l'herbe, rencontrant parfois la texture si caractéristique d'un trou de tourbe. Elle s'enfonça encore un peu dans la lande, avant de ralentir, pour finalement s'arrêter. Premièrement, parce qu'elle avait un point de côté, et qu'elle ne se donnait pas dix mètres pour tomber par terre; deuxièmement, parce qu'elle était arrivée aux grilles qui barraient l'accès au site de Tara. Tout était impeccablement arrangé pour les touristes, mais autour de minuit, il n'y en avait plus, et là, c'était Keren qui entrait dans la place. Le principal tombeau, situé en haut de la seconde colline, était son préféré; elle accrocha son échelle de corde sur la grille, puis repoussa ses cheveux, enfila ses gants et tourna son sac dans son dos, avant de commencer son ascension. En quelques secondes, elle fut en haut, fit basculer l'échelle de l'autre côté et redescendit. Tranquillement, elle chemina jusqu'au mausolée, sur le toit duquel elle grimpa, pour s'asseoir dans l'herbe et contempler le paysage. La lune éclairait la lande de façon splendide, et pour peu que les installations touristiques soient dans son dos, elle ne voyait presque que la nature sauvage.
Près du cours d'eau, autour du vieux chêne, elle crut percevoir ces petits scintillements qui l'avaient toujours tant intriguée, et qu'elle avait fini par attribuer aux propriétés étranges et inexpliquées de la plein lune.
Décidant de descendre jusqu'au grand chêne, Keren dégringola la pente du tombeau, puis celle de la colline, pour terminer sur la berge.
Dans l'herbe, au bord de l'eau, sous le grand chêne, Keren s'allongea et cala ses mains derrière sa tête pour mieux contempler les étoiles. C'était superbe. Les scintillement dus à la pleine lune rendaient le spectacle encore plus beau. C'était encore meilleur que le plus splendide des tableaux.
La cueillette pouvait attendre; elle était bien. Oui, dans cet endroit si frais...
...Elle était bien.
Sam 17 Nov - 0:23